Résumé de l’affaire

La « Fraternité » Notre Dame Mère de la Lumière (NDML) se présente comme une association de foi catholique organisant des veillées de prières et des pèlerinages. Basée à Caen, elle propose un parcours de formation biblique et des activités de distribution de nourriture auprès des sans-abris.

Les membres fondateurs se sont rencontrés à l’aumônerie des étudiants de Caen en 2008. Sous l’impulsion d’un étudiant en médecine, ils ont commencé à organiser des veillées de prières et des sessions de guérison, témoignant constamment de l’influence de l’Esprit-Saint et de leur conversion.

Constatant leurs errances, le prêtre responsable de l’aumônerie interdit au groupe de s’y réunir en 2011, date de la création de l’association de loi 1901 NDML. Alerté par une vingtaine d’étudiants (dont deux futurs membres de l’association Tocsin, créée en 2015), l’évêque de Bayeux-Lisieux, Mgr Boulanger, les met sous tutelle pendant 7 mois. Il finit par les laisser œuvrer dans la paroisse Ste Trinité à Caen, avec une lettre de mission, signée en 2012, qui sera complétée en 2015. Leurs activités devenant plus régulières, le groupe obtient une certaine reconnaissance de l’Église catholique et de mouvements chrétiens de la même mouvance, qu’ils fréquentent assidûment dans la francophonie. Il y a quelques années, le président de NDML a été élu à l’Instance Nationale du Renouveau Charismatique Français de la CEF. En août 2018 le groupe a rassemblé plus de 1000 pèlerins avec Étoile Notre-Dame à Medjugorje, lieu d’apparitions non reconnues en Bosnie.

Cependant, au-delà de la façade d’un groupe jeune insufflant un esprit nouveau et intégrant des musiques entraînantes dans les vieilles pierres des églises normandes, des dérives comportementales ont été portées à la connaissance de Mgr Boulanger dès 2011, et de la CEF, ainsi que des autorités publiques en 2015/2016 par l’UNADFI et Tocsin.

En 2016, à la demande de la CEF, Monseigneur Boulanger a lancé une enquête canonique sur le groupe. Les conclusions de l’enquête n’ont pas été publiées, mais se retranchant derrière un argument juridique (une association loi 1901 n’a pas besoin de reconnaissance ecclésiale), l’évêque a retiré la mission confiée par l’Église à ce groupe en demandant à ce que chacun des membres trouve sa vocation.

Sans aucune remise en question, le groupe continue ses activités, notamment l’organisation de pèlerinages, l’animation des veillées de prières dans des salles de mairie et parfois dans les églises de certains diocèses.

Poursuivi par la justice pour « abus de l’ignorance et de la faiblesse » de 19 personnes, l’étudiant devenu médecin est placé sous contrôle judiciaire le 26 juin 2018. L’enquête judiciaire a débuté en avril 2016. D’anciens membres de l’association, mais aussi des familles et des proches des fidèles, s’inquiètent alors de dérives présumées au sein du groupe. Quatre plaintes ont été déposées.

Le médecin inculpé a demandé, et obtenu une levée partielle de son contrôle judiciaire, qui lui imposait un suivi psychologique et de ne pas quitter l’ancienne région Basse-Normandie.

Le jeudi 13 décembre 2018, le tribunal correctionnel de Caen a levé les scellés qui empêchaient les membres de NDML de rentrer chez eux.

Le procès a duré 15h le 21 mai 2019.

Sur 19 victimes répertoriées par le ministère public, 9 d’entre-elles ne reconnaissaient pas ce statut. Il s’agissait principalement des membres du noyau dur de la communauté, qui vivent dans deux maisons, séparés hommes et femmes, et ont prononcé des vœux privés. Chacun est venu à la barre, « comme un seul homme » selon l’expression de l’avocat de parties civiles, pour défendre leur chef et remettre en cause les conclusions des experts psychologues à leur endroit.

Lors de son procès, le prévenu, qui prétendait recevoir des messages du Christ, s’est dit innocent. Il a pour la première fois esquissé quelques regrets : « Je ne suis pas un manipulateur. (…) On a manqué de discernement au début, j’ai peu écouté certains points d’attention que l’on m’avait dits. (…) A moins que je ne manipule sans m’en rendre compte ».

Si aucun représentant de de l’Église catholique n’était présent, les dépositions des prêtres et couples qui ont accompagnés le groupe ont été lues. Presque toutes pointent le phénomène d’emprise, le fait que le groupe était ingérable, incapable de se remettre en cause et d’écouter les remarques. Même discours dans la déposition de la mère supérieure de la communauté des sœurs de Montligeon du diocèse de Sées qui a accompagné le groupe durant un temps et dans celui de Mgr Boulanger qui a reconnu l’échec de l’accompagnement de l’Église : « Le président de NDML est un pervers narcissique, un vrai séducteur, les membres de sa communauté sont des gens fragiles sous son influence, j’ai des craintes quant à leur liberté, nous sommes vraiment face à des dérives sectaires avec une réelle emprise sur les membres, ils n’obéissent pas à l’Eglise, ils se sont servis de leur lettre de mission, l’ont détournée pour se revendiquer de mon autorité, ils faisaient des exorcismes, je ne les reconnais plus comme dans l’Eglise ».

Visiblement surpris par ces allégations, les membres de NDML ont déclaré qu’il s’agissait d’incompréhensions et d’on-dit, distillés par leurs détracteurs. Selon eux ils appartiennent bel et bien à l’Église : « On n’est pas isolés de l’Église, on est dans des paroisses (…) On mangeait chez l’évêque tous les mois, ça se passait bien (…) Et l’Église ce n’est pas qu’un évêque. Qui est-il pour employer ces mots ? »

Les membres du groupe revendiquent agir comme de simples baptisés lorsqu’ils pratiquent la prière des frères ou les prières de guérisons. De même, ils contestent pratiquer l’exorcisme en indiquant que les témoins ayant rapporté ces faits les ont confondus avec des prières de délivrances.

Au procès a été lu un document écrit par Mgr Gosselin, l’évêque d’Angoulême, annonçant qu’à partir de février 2018 ce dernier a fait le choix d’accompagner officiellement la « communauté » NDML, avec l’accord de Mgr Boulanger, tout comme le supérieur des frères dominicains de Rennes pour l’aspect communautaire. Cet accompagnement avait déjà commencé de manière informelle avant cette date.

Pour l’avocat du prévenu, les allégations portées contre le président de NDML sont des ressentis ou des calomnies orchestrées par un amoureux éconduit, co-fondateur de l’association Tocsin. Quoique répertorié comme victime par le ministère public, ce dernier a choisi de ne pas se porter partie civile. En effet, il s’est engagé dans Tocsin pour informer les autorités religieuses et aider les victimes, non pour porter les débats sur le plan judiciaire. Aucune des parties civiles du récent procès n’avait d’ailleurs participé au dossier de 2011.

Le procès a été une succession de paroles contre paroles. Ainsi, par exemple, selon NDML, Mgr Boulanger aurait accrédité en 2016 leur charte de vie avec séparation homme/femme ce que l’évêque n’a pas reconnu.

Depuis 10 ans, l’association NDML s’est beaucoup inspirée de groupes œcuméniques et du Renouveau Charismatique. Elle a annoncé avoir été formée aux prières de guérison par la communauté du Chemin Neuf. A une époque, l’association a eu une proposition de la Sr Anna Katharina Pollmeyer, la responsable nationale de la communauté des Béatitudes, pour qu’ils intègrent cette communauté du Renouveau Charismatique. Mais c’est bien à Caen que le groupe a déclaré se sentir appelé par Dieu, aucun membre n’ayant souhaité rejoindre un ordre religieux déjà existant. Visiblement soutenus par l’évêque d’Angoulême, ils souhaitent poursuivre leur œuvre à Caen.

Il a été mis en lumière qu’au contact de l’association beaucoup de personnes vulnérables se sont blessées, que le président de l’association n’était pas « une brebis parmi les brebis ». Pour un avocat « c’est la question de la liberté individuelle, de l’autonomie, et ils ont été privés de cette liberté, c’est la pensée unique avec le discours fondateur du président, c’est son idéologie, il fonde le groupe sur sa propre histoire. Il est facile de rentrer dans le groupe mais dur d’en sortir. Il y a un avant et un après NDML. L’individu dans le groupe n’existe pas, il n’y a pas de Je, que du Nous. Il s’agit d’abus dissimulés derrière la religion, pour s’affranchir de la loi commune ».

Lors du procès il a longuement été débattu des attitudes réelles ou de façade du groupe, du potentiel culte de la personnalité du leader, qui serait vu par certains comme un prophète, et qui aurait, selon les parties civiles, mis en place une idéologie bien à lui dès 2008 alors qu’il était à l’aumônerie des étudiants de Caen. Il a également été question du fonctionnement pyramidal de l’association, de l’obsession de la pureté au sein de « la bulle, du cocon chaud NDML, cette prison dorée » pour citer l’avocat de l’ADFI.

Des techniques de manipulation ont également été décrites et vivement contestées : ainsi le témoignage de conversion très poignant du leader aurait été une porte d’entrée séduisante en 2008 pour les membres les plus impliqués aujourd’hui. La prière des frères aurait été un tribunal pour certains membres qui auraient été humiliés et c’est à cette occasion que, sous couvert de l’esprit Saint ou de révélations de la Vierge Marie, notamment de la bras droit du président de l’association, l’on aurait guidé leur vie. Le groupe aurait été en partie prosélyte : « C’est pas de l’accueil mais du recrutement » a déclaré une victime. NDML serait devenu comme une drogue de par les louanges et guérisons, « un monde magique et merveilleux, coupé du monde ».

Partie civile pendant le procès, l’ordre des Médecins a pointé le conflit d’intérêt du prévenu, à la fois médecin urgentiste au CHU de Caen et guérisseur imposant les mains à ses fidèles et haranguant les foules : « Il a un aura en sa qualité de médecin. Il est médecin partout et tout le temps. Il y a, de la part du Docteur, un abus de l’état d’ignorance. C’est une secte, il s’agit du plus grand intégrisme religieux ! Il y a des actes gravement préjudiciables, cela porte atteinte à l’intérêt collectif ». Durant le procès, la responsable du « pôle guérison » de NDML a avoué ne pas vérifier les témoignages miraculeux reçus.

Pour la procureur de la République qui n’est intervenue qu’à la toute fin, lors de son procès, le prévenu « a renversé les rôles et s’est victimisé. Il s’agit bel et bien d’un esclavage relationnel ». Elle a requis une peine de 2 ans de prison avec sursis, assortie d’une mise à l’épreuve de 3 ans, 15 000 euros d’amende, l’interdiction d’entrer en contact avec les victimes, une obligation de soins, et l’interdiction d’exercer toute activité associative durant 5 ans.

Le prévenu a été relaxé le 11 juillet 2019.

Le parquet a fait appel de cette décision, le procès en appel a eu lieu le 9 juin 2021. Le résultat a été rendu public le 22 septembre 2021, le prévenu a été de nouveau relaxé. Pour autant l’avocat général, convaincu de la constitution des faits d’abus de faiblesse et de sujétion psychologique, avait requis 12 mois de prison avec sursis.

"La vérité fait moins moins mal que le mensonge"